750 grammes
Tous nos blogs cuisine Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Mots et mets
Mots et mets
13 novembre 2008

"Il pleut" de Francis Carco

Voilà longtemps que je ne vous ai plus partagé de mes petits bonheurs littéraires... Et pourtant, il y a un poème de Francis Carco auquel j'ai beaucoup pensé ces derniers jours, quand la pluie tambourinait à nos fenêtres, nous obligeant à vivre d'intérieur et de quiétude... Je vous le dédie, à vous tous bloqués chez vous par les gouttes de pluie, pour transformer un sombre dimanche pluvieux en un merveilleux après-midi amoureux!

Il pleut

Il pleut — c’est merveilleux. Je t’aime.
Nous resterons à la maison :
Rien ne nous plaît plus que nous-mêmes
Par ce temps d’arrière-saison.

Il pleut. Les taxis vont et viennent.
On voit rouler les autobus
Et les remorqueurs sur la Seine
Font un bruit... qu’on ne s’entend plus !

C’est merveilleux : il pleut. J’écoute
La pluie dont le crépitement
Heurte la vitre goutte à goutte...
Et tu me souris tendrement.

Je t’aime. Oh ! ce bruit d’eau qui pleure,
Qui sanglote comme un adieu.
Tu vas me quitter tout à l’heure :
On dirait qu’il pleut dans tes yeux.

Francis Carco, Il pleut

Publicité
22 octobre 2008

"Il pleut" Raymond Queneau

Aujourd'hui, il pleut, il pleut, il pleut encore! Il faut dire qu'à Marseille nous ne sommes guère habitués à cette eau tombée du ciel ! Ou alors nous connaissons les trombes d'eau qui envahissent les rues de la ville et retiennent les habitants chez eux, au chaud et au sec.

Comme mes enfants me demandaient des chansons sur la pluie (il faut s'occuper par un mercredi pluvieux!), m'est revenu en mémoire ce poème amusant de Queneau (il faut lire Queneau au moins une fois dans sa vie, ce jongleur de mots, ce poète du quotidien, qui rend à chaque chose quotidienne une place décalée dans la vie de tous les jours). Je vous le livre pour vous faire sourire de l'autre côté de l'écran et vous faire entendre - si vous prenez le temps de le lire à haute voix! - le bruit des gouttes d'eau, calmes et plates au début du poème, puis rapides et saccadées ensuite, par la simple rythmique des mots (il est trop fort, je vous le dis!!).

Il pleut

Averse averse averse averse averse averse

pluie ô pluie ô pluie ô ! ô pluie ô pluie ô pluie !

gouttes d’eau gouttes d’eau gouttes d’eau gouttes d’eau

parapluie ô parapluie ô paraverse ô !

paragouttes d’eau paragouttes d’eau de pluie

capuchons pèlerines et imperméables

que la pluie est humide et que l’eau mouille et mouille !

mouille l’eau mouille l’eau mouille l’eau mouille l’eau

et que c’est agréable agréable agréable !

d’avoir les pieds mouillés et les cheveux humides

tout humides d’averse et de pluie et de gouttes

d’eau de pluie et d’averse et sans un paragoutte

pour protéger les pieds et les cheveux mouillés

qui ne vont plus friser qui ne vont plus friser

à cause de l’averse à cause de la pluie

à cause de l’averse et des gouttes de pluie

des gouttes d’eau de pluie et des gouttes d’averse

cheveux désarçonnés cheveux sans parapluie

Raymond Queneau, Les ziaux

13 octobre 2008

"Désert" de J.M.G. Le Clézio

En fin de semaine dernière, grande nouvelle: Le Clezio reçoit le prix Nobel de littérature! Et voilà que grandit en moi le désir de retourner lire cet auteur fabuleux, qui par la simple force de sa plume et de sa poésie, m'a fait voyager si souvent à travers le vaste monde... Merci, Monsieur Le Clezio, pour tout ce rêve donné à travers les pages de vos romans!

Pour tous ceux d'entre vous qui aiment Le Clezio, voici un petit extrait, très connu certes, de Désert... Et pour tous ceux qui ne connaissent pas encore cet auteur, je ne peux que vous conseiller de vous précipiter à la bibliothèque la plus proche pour de belles heures de voyage en perspective!

"Ils sont apparus, comme dans un rêve, au sommet de la dune, à demi cachés par la brume de sable que leurs pieds soulevaient. Lentement ils sont descendus dans la vallée, en suivant la piste presque invisible. En tête de la caravane, il y avait les hommes, enveloppés dans leurs manteaux de laine, leurs visages masqués par le voile bleu. Avec eux marchaient deux ou trois dromadaires, puis les chèvres et les moutons harcelés par les jeunes garçons. Les femmes fermaient la marche. C’étaient des silhouettes alourdies, encombrées par les lourds manteaux, et la peau de leurs bras et de leurs fronts semblait encore plus sombre dans les voiles d’indigo.

Ils marchaient sans bruit dans le sable, lentement, sans regarder où ils allaient. Le vent soufflait continûment, le vent du désert, chaud le jour, froid la nuit. Le sable fuyait autour d’eux, entre les pattes des chameaux, fouettait le visage des femmes qui rabattaient la toile bleue sur leurs yeux. Les jeunes enfants couraient, les bébés pleuraient, enroulés dans la toile bleue sur le dos de leur mère. Les chameaux grommelaient, éternuaient. Personne ne savait où on allait.

Le soleil était encore haut dans le ciel nu, le vent emportait les bruits et les odeurs. La sueur coulait lentement sur le visage des voyageurs, et leur peau sombre avait pris le reflet de l’indigo, sur leurs joues, sur leurs bras, le long de leurs jambes. Les tatouages bleus sur le front des femmes brillaient comme des scarabées. Les yeux noirs, pareils à des gouttes de métal, regardaient à peine l’étendue de sable, cherchaient la trace de la piste entre les vagues des dunes.

Il n’y avait rien d’autre sur la terre, rien, ni personne. Ils étaient nés du désert, aucun autre chemin ne pouvait les conduire. Ils ne disaient rien. Ils ne voulaient rien. Le vent passait sur eux, à travers eux, comme s’il n’y avait personne sur les dunes. Ils marchaient depuis la première aube, sans s’arrêter, la fatigue et la soif les enveloppaient comme une gangue. La sécheresse avait durci leurs lèvres et leur langue. Ma faim les rongeait. Ils n’auraient pas pu parler. Ils étaient devenus, depuis si longtemps, muets comme le désert, pleins de lumière quand le soleil brûle au centre du ciel vide, et glacés de la nuit aux étoiles figées.

Ils continuaient à descendre lentement la pente vers le fond de la vallée, en zigzaguant quand le sable s’éboulait sous leurs pieds. Les hommes choisissaient sans regarder l’endroit où leurs pieds allaient se poser. C’était comme s’ils cheminaient sur des traces invisibles qui les conduisaient vers l’autre bout de la solitude, vers la nuit. Un seul d’entre eux portait un fusil, une carabine à pierre au long canon de bronze noirci. Il la portait sur sa poitrine, serrée entre ses deux bras, le canon dirigé vers le haut comme la hampe d’un drapeau. Ses frères marchaient à côté de lui, enveloppés dans leurs manteaux, un peu courbés en avant sous le poids de leurs fardeaux. Sous leurs manteaux, leurs habits bleus étaient en lambeaux, déchirés par les épines, usés par le sable. Derrière le troupeau exténué, Nour, le fils de l’homme au fusil, marchait devant sa mère et ses sœurs. Son visage était sombre, noirci par le soleil, mais ses yeux brillaient, et la lumière de son regard était presque surnaturelle.

Ils étaient les hommes et les femmes du sable, du vent, de la lumière, de la nuit. Ils étaient apparus, comme dans un rêve, en haut d’une dune, comme s’ils étaient nés du ciel sans nuages, et qu’ils avaient dans leurs membres la dureté de l’espace. Ils portaient avec eux la faim, la soif qui fait saigner les lèvres, le silence dur où luit le soleil, les nuits froides, les lueurs de la Voie lactée, la lune ; ils avaient avec eux leur ombre géante au coucher du soleil, les vagues de sable vierge que leurs orteils écartés touchaient, l’horizon inaccessible. Ils avaient surtout la lumière de leur regard, qui brillait si clairement dans la sclérotique de leurs yeux."

J.M.G. Le Clezio

6 octobre 2008

La madeleine - Marcel Proust

Evidemment, après avoir cuisiné des madeleines, vous ne pensiez tout de même pas éviter un peu de Proust?! Si, si, je vous assure, une fois que l'on est entré dans le méandre de sa pensée et de ses longues phrases, on ne peut plus s'en détacher! Ce texte est archi-connu... mais il décrit merveilleusement bien un phénomène que tout homme expérimente un jour: les territoires cachés de la mémoire! (Et ce texte me touche d'autant plus qu'ici, c'est un simple gâteau "court et dodu" qui va mettre en branle tout l'édifice du souvenir!... Le goût comme révélateur du passé enfui, c'est beau, non?).

"Il y avait bien des années que, de Combray, tout ce qui n’était pas le théâtre et le drame de mon coucher, n’existait plus pour moi, quand un jour d’hiver, comme je rentrais à la maison, ma mère, voyant que j’avais froid, me proposa de me faire prendre, contre mon habitude, un peu de thé. Je refusai d’abord et, je ne sais pourquoi, me ravisai. Elle envoya chercher un de ces gâteaux courts et dodus appelés Petites Madeleines qui semblent avoir été moulés dans la valve rainurée d’une coquille de Saint-Jacques. Et bientôt, machinalement, accablé par la morne journée et la perspective d’un triste lendemain, je portai à mes lèvres une cuillerée du thé où j’avais laissé s’amollir un morceau de madeleine. Mais à l’instant même où la gorgée mêlée des miettes du gâteau toucha mon palais, je tressaillis, attentif à ce qui se passait d’extraordinaire en moi. Un plaisir délicieux m’avait envahi, isolé, sans la notion de sa cause. Il m’avait aussitôt rendu les vicissitudes de la vie indifférentes, ses désastres inoffensifs, sa brièveté illusoire, de la même façon qu’opère l’amour, en me remplissant d’une essence précieuse: ou plutôt cette essence n’était pas en moi, elle était moi. J’avais cessé de me sentir médiocre, contingent, mortel. D’où avait pu me venir cette puissante joie? Je sentais qu’elle était liée au goût du thé et du gâteau, mais qu’elle le dépassait infiniment, ne devait pas être de même nature. D’où venait-elle? Que signifiait-elle? Où l’appréhender? Je bois une seconde gorgée où je ne trouve rien de plus que dans la première, une troisième qui m’apporte un peu moins que la seconde. Il est temps que je m’arrête, la vertu du breuvage semble diminuer. Il est clair que la vérité que je cherche n’est pas en lui, mais en moi. Il l’y a éveillée, mais ne la connaît pas, et ne peut que répéter indéfiniment, avec de moins en moins de force, ce même témoignage que je ne sais pas interpréter et que je veux au moins pouvoir lui redemander et retrouver intact, à ma disposition, tout à l’heure, pour un éclaircissement décisif. Je pose la tasse et me tourne vers mon esprit. C’est à lui de trouver la vérité; Mais comment? Grave incertitude, toutes les fois que l’esprit se sent dépassé par lui-même; quand lui, le chercheur, est tout ensemble le pays obscur où il doit chercher et où tout son bagage ne lui sera de rien. Chercher? pas seulement: créer. Il est en face de quelque chose qui n’est pas encore et que seul il peut réaliser, puis faire entrer dans sa lumière.(...)

Et tout d’un coup le souvenir m’est apparu. Ce goût, c’était celui du petit morceau de madeleine que le dimanche matin à Combray (parce que ce jour-là je ne sortais pas avant l’heure de la messe), quand j’allais lui dire bonjour dans sa chambre, ma tante Léonie m’offrait après l’avoir trempé dans son infusion de thé ou de tilleul. La vue de la petite madeleine ne m’avait rien rappelé avant que je n’y eusse goûté; peut-être parce que, en ayant souvent aperçu depuis, sans en manger, sur les tablettes des pâtissiers, leur image avait quitté ces jours de Combray pour se lier à d’autres plus récents; peut-être parce que, de ces souvenirs abandonnés depuis si longtemps hors de la mémoire, rien ne survivait, tout s’était désagrégé; les formes - et celle aussi du petit coquillage de pâtisserie, si grassement sensuel sous son plissage sévère et dévot - s’étaient abolies, ou, ensommeillées, avaient perdu la force d’expansion qui leur eût permis de rejoindre la conscience. Mais, quand d’un passé ancien rien ne subsiste, après la mort des autres, après la destruction des choses, seules, plus frêles mais plus vivaces, plus immatérielles, plus persistantes, plus fidèles, l’odeur et la saveur restent encore longtemps, comme des âmes, à se rappeler, à attendre, à espérer, sur la ruine de tout le reste, à porter sans fléchir, sur leur gouttelette presque impalpable, l’édifice immense du souvenir."

Marcel Proust, Du côté de chez Swann

2 octobre 2008

"Parfum exotique " de Baudelaire

Mon message précédent (mousse noix de coco-citron vert) m'a donné des envies d'exotisme... et comme la période n'est pas aux voyages (!), je suis retournée ouvrir mon cher Baudelaire pour vous offrir ce poème à lire les yeux fermés (si, si, il suffit d'essayer!).

Parfum exotique

Quand, les deux yeux fermés, en un soir chaud d'automne,
Je respire l'odeur de ton sein chaleureux,
Je vois se dérouler des rivages heureux
Qu'éblouissent les feux d'un soleil monotone ;

Une île paresseuse où la nature donne
Des arbres singuliers et des fruits savoureux ;
Des hommes dont le corps est mince et vigoureux,
Et des femmes dont l'œil par sa franchise étonne.

Guidé par ton odeur vers de charmants climats,
Je vois un port rempli de voiles et de mâts
Encor tout fatigués par la vague marine,

Pendant que le parfum des verts tamariniers,
Qui circule dans l'air et m'enfle la narine,
Se mêle dans mon âme au chant des mariniers.

Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal

Publicité
24 septembre 2008

"Recueillement" de Baudelaire

Mon post précédent, qui évoquait l'automne, m'a fait penser à ce magnifique poème de Baudelaire, "Recueillement".

Je ne résiste pas à l'envie de vous le partager...

Recueillement

Sois sage, ô ma Douleur, et tiens-toi plus tranquille.
Tu réclamais le Soir; il descend; le voici:
Une atmosphère obscure enveloppe la ville,
Aux uns portant la paix, aux autres le souci.

Pendant que des mortels la multitude vile,
Sous le fouet du Plaisir, ce bourreau sans merci,
Va cueillir des remords dans la fête servile,
Ma Douleur, donne-moi la main; viens par ici,

Loin d'eux. Vois se pencher les défuntes Années,
Sur les balcons du ciel, en robes surannées;
Surgir du fond des eaux le Regret souriant;

Le Soleil moribond s'endormir sous une arche,
Et, comme un long linceul traînant à l'Orient,
Entends, ma chère, entends la douce Nuit qui marche.


Charles Baudelaire, Les fleurs du mal CLIX
16 septembre 2008

"La première gorgée de bière..." Ph. Delerm

Une petite pause dans le déroulement des jours et des recettes pour vous partager un petit bonheur de lecture... Il s'agit de Philippe Delerm et sa "Première gorgée de bières et autres plaisirs minuscules". C'est une petite merveille d'une dizaine de textes décrivant quelques-uns des plaisirs de la vie, dans ce qu'elle a de plus quotidien, et de plus jouissif.
Et pour les gourmands, je pense tout particulièrement au texte "aider à écosser les petits pois". Je vous en livre quelques lignes...

"C'est presque toujours à cette heure creuse de la matinée où le temps ne penche plus vers rien.(...) Sur la toile cirée, juste un carré de journal, un tas de petits pois dans leur gousse, un saladier...
(...) On peut s'asseoir à la table familale et d'emblée trouver pour l'écosssage ce rythme nonchalant, pacifiant, qui semble suscité par un métronome intérieur. C'est facile d'écosser les petits pois. Une pression du pouce sur la fente de la gousse et elle s'ouvre, docile, offerte. Quelques-unes, moins mûres, sont plus réticentes - une incision de l'ongle de l'index permet alors de déchirer le vert, et de sentir la mouillure et la chair dense, juste sous la peau faussement parcheminée. Après, on fait glisser les boules d'un seul doigt. La dernière est si minuscule. Parfois, on a envie de la croquer. Ce n'est pas bon, un peu amer, mais frais comme la cuisine de onze heures, cuisine de l'eau froide, des légumes épluchés - tout près, contre l'évier, quelques carottes nues brillent sur un torchon, finissent de sécher.
Alors on parle à petits coups, et là aussi la musique des mots semble venir de l'intérieur, paisible, familière." (Philippe Delerm La première gorgée de bière et autres plaisir minuscules)

Hum!... Ca me donne envie d'écosser des petits pois, dans le jardin, en famille... Pas vous?!

Publicité
<< < 1 2 3 4 5 6 7 8
Mots et mets
Publicité
Newsletter
192 abonnés
Visiteurs
Depuis la création 352 329
Publicité