Les crèpes de Mère Barberin
Je n'ai jamais fait de crêpes sans penser au magnifique roman d'Hector Malot "Sans famille". Rémi et Mattia, après de nombreuses aventures sur les grands chemins, sont de retour chez mère Barberin à laquelle ils offrent une vache qui fait un lait "au goût de fleur d'oranger". Pour fêter leurs joyeuses retrouvailles, les deux enfants demandent alors à la nourrice de leur confectionner les délicieuses crêpes dont Rémi garde un souvenir émerveillé...
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Mère Barberin mit la poêle au feu, et ayant pris un morceau de beurre au bout de son couteau elle le fit glisser dans la poêle, où il fondit aussitôt.
– Ça sent bon, s’écria Mattia qui se tenait le nez au-dessus du feu sans peur de se brûler.
Le beurre commença à grésiller :
– Il chante, cria Mattia, oh ! il faut que je l’accompagne.
Pour Mattia tout devait se faire en musique ; il prit son violon et doucement en sourdine il se mit à plaquer des accords sur la chanson de la poêle, ce qui fit rire mère Barberin aux éclats.
Mais le moment était trop solennel pour s’abandonner à une gaieté intempestive, avec la cuiller à pot mère Barberin a plongé dans la terrine d’où elle retire la pâte qui coule en longs fils blancs ; elle verse la pâte dans la poêle, et le beurre qui se retire devant cette blanche inondation la frange d’un cercle roux.
À mon tour, je me penche en avant : mère Barberin donne une tape sur la queue de la poêle, puis d’un coup de main elle fait sauter la crêpe au grand effroi de Mattia ; mais il n’y a rien à craindre ; après avoir été faire une courte promenade dans la cheminée, la crêpe retombe dans la poêle sens dessus dessous, montrant sa face rissolée.
Je n’ai que le temps de prendre une assiette et la crêpe glisse dedans.
Elle est pour Mattia qui se brûle les doigts, les lèvres, la langue et le gosier ; mais qu’importe, il ne pense pas à sa brûlure.
– Ah ! que c’est bon ! dit-il la bouche pleine.
C’est à mon tour de tendre mon assiette et de me brûler ; mais, pas plus que Mattia je ne pense à la brûlure.
Hector Malot